L'histoire du Tifinagh
L'histoire du Tifinagh
Par Lahcen pour Amazighweb.com
L’origine
de l’écriture tifinagh, comme c’est le cas souvent pour tout ce qui est
relatif à la civilisation amazighe, demeure partiellement inexpliquée ;
mais il est évident que cette écriture, sans conteste d’origine nord
africaine, endogène comme on dit, plonge ses racines dans la
Préhistoire, à la période Néolithique dite capsienne, comme l’attestent
les nombreuses gravures rupestres où les signes de cette écriture, dite
« libyque » ( nom que donnaient les Grecs à toute l’Afrique), de formes
géométriques simples, se trouvent associés à des scènes de la vie
quotidienne, de chasse ou de représentations des animaux de cette
époque.
Les
premières inscriptions lybico- amazighes apparaissent vers 1500/ 1000
avant notre ère, à l’époque des « chars ». L’Amazighie de cette époque
doit sans doute la plupart de ces transformations à l’Egypte ainsi qu’au
Sud de l’Europe, foyers civilisationnels avec lesquels elle entretenait
des échanges constants. Outre leur outillage et les débris de leur
nourriture les Hommes du Néolithique nous ont légué beaucoup de gravures
rupestres, un véritable musée à ciel ouvert, appelés à juste titre par
les autochtones contemporains « hajra maktouba », ou pierres écrites ;
elles ont fait l’objet de recherches pendant 40 ans de la part de J.B.
Flamand, décrites dans son livre Les Pierres écrites, paru en 1921.
Avant lui, en 1880, Faulmann en avait fait l’inventaire et dressé un
répertoire de 16 signes déchiffrés.
Cet
art rupestre de l’époque néolithique s’est maintenu très longtemps
après notre ère, souvent accompagné d’inscriptions en caractères
tifinagh libyques de forme archaïque, ce qui rend la datation de cette
écriture parfois difficile, mais elle n’en demeure pas moins la première
manifestation concrète et indiscutable de cet alphabet, l’écriture la
plus anciennement attestée en Afrique du Nord.
2500
ans séparent les inscriptions libyques préhistoriques de l’écriture
antique, dite « numide » ; les archéologues ont en trouvé une grande
quantité dans toute l’Afrique du Nord, sur des inscriptions à caractère
funéraire et monumental. O’Connor en a dressé une liste de 25 signes,
qui ne possèdent pas toutefois les mêmes valeurs phonétiques que celles
de l’alphabet tifinagh tamashek, également étudié par Faulmann dès 1880,
le seul qui soit resté usité jusqu’à notre époque par les Touaregs (
partie hachurée sur la carte ci- dessus ).
De
toutes ces inscriptions numides, la plus anciennement datée avec
certitude est une dédicace célébrant la dixième année du roi Massinissa,
Aguellid de Numidie, soit en 138 avant notre ère.
L’ensemble
des autres inscriptions, si elles n’ont été datées quant à elles avec
certitude, remontent au 7 ème ou au 6 ème siècles avant J.C.
Alphabet
essentiellement consonantique, son interprétation demeure difficile,
d’autant plus que les mots ne sont pas séparés entre eux sur l’axe de
l’écriture ; l’orientation de l’écriture ne semble obéir non plus à
aucune règle préétablie, si ce n’est la fantaisie du scripteur. Toujours
est- il qu’on distingue trois formes traditionnelles du tifinagh
antique « numide » : l’oriental ( Est de l’Algérie, Tunisie),
l’occidental (Ouest de l’Algérie, Maroc et Îles Canaries ), et le
tifinagh saharien ( Sahara central).
Cependant,
même au sein d’un ensemble de graphie d’apparence homogène les
chercheurs ont constaté des variantes, qui correspondent sans doute à
des états de parlers aussi divers d’une même langue à cette époque
qu’ils le sont encore aujourd’hui. Actuellement, seul le tifinagh
« numide » oriental a pu être déchiffré, grâce à des inscriptions
bilingues numides- latines et numides- puniques.
Il
est certain que l’usage de l’alphabet tifinagh numide ait perduré en
Afrique du nord jusqu’à la fin du monde antique. Il est étonnant que les
Arabes, fins observateurs et chroniqueurs ne l’aient jamais mentionné
dans leurs écrits, après la conquête musulmane du Maghreb, au 8 ème
siècle. L’écriture tifinagh a en effet disparu de toute l’aire islamisée
et n’a plus existé qu’au Sahara central, chez les Touaregs, qui ont
maintenu son usage jusqu’à nos jours. On pourrait supposer que
l’écriture tifinagh ait été interdite, frappée d’anathème pour des
raisons théologiques, car son usage aurait été associé à des pratiques
païennes, magico- religieuses.
L’usage
de cette forme d’écriture antique, mentionné par des auteurs latins
tardifs des 5 ème et 6 ème siècles ( Fulgence et Corripus) revêt dès
cette époque pour les Imazighens un caractère de résistance nationale,
une marque identitaire face aux cultures punique et latine. Même si son
usage était demeuré restreint à l’époque antique, puisque la majorité
des stèles qui nous soient parvenues ne comportent que des inscriptions
funéraires et votives, cette écriture revêtait déjà un caractère
identitaire très fort chez les Imazighens, une sorte d’emblême national,
puisque des rois (Massinissa, Micipsa) ainsi que des dignitaires de
haut rang l’avaient choisie au lieu des autres graphies officielles,
punique ou latine, pour commémorer la date de la construction des
monuments, ainsi que pour de nombreuses stèles funéraires. (Des soldats,
des officiers Imazighens ayant servi dans l’armée romaine, ou leurs
proches, avaient préféré l’employer au lieu de l’écriture latine.)
Beaucoup
de chercheurs ont voulu voir dans l’écriture tifinagh de la période
antique un héritage, ou ne serait- ce qu’un emprunt partiel à la
civilisation punique et son écriture phénicienne. Parmi ces théoriciens
Hanoteau, qui considère le tifinagh antique issu forcément du phénicien,
s’appuyant en cela sur la ressemblance de six ou sept caractères dans
les deux systèmes d’écriture et aussi sur le nom « tifinagh » donné à
l’écriture amazighe, qui serait selon lui une déformation du mot
« phénicien », dont le radical est « fnk », en « tafniqt », puis
tifinagh. Rapprochement commode mais sans fondement logique, car les
deux systèmes d’écriture sont bien trop différents dans leurs
conceptions, leurs formes générales et la façon dont ils sont disposés
sur la surface- support ( sens de l’écriture), pour supposer une
quelconque interférence entre eux. Pour réfuter la théorie de Hanoteau
on peut faire quelques remarques sommaires :
*
En effet, le phénicien, comme les autres écritures sémitiques (arabe,
hébreu, syriaque), s’écrit de droite à gauche, alors que le tifinagh
procède plutôt en colonnes verticales, de bas en haut, ou en ligne
horizontale, de gauche à droite ; seule la forme de certaines lettres (
m, m par exemple ) donne le sens de la lecture.
*
Les caractères phéniciens, comme nous pouvons le remarquer sur l’image
de la stèle représentée ci-dessus, consistent en une série de lignes
courbes, de traits obliques adventifs et d’absence de points, alors que
la graphie tifinagh est géométrique, unissant des traits droits
verticaux et horizontaux, des cercles parfaits, des demi cercles, des
points...
*
Le signe tifinagh est toujours d’apparence simple, facile à exécuter
même pour un enfant, alors que le signe phénicien est d’apparence
complexe, cursif, assez difficile à reproduire pour un non initié.
*
La présence de caractères analogues (par exemple : t, r, d...) semble
donc tout à fait fortuite, d’autant plus qu’ils ne possèdent pas la même
valeur phonétique dans les deux systèmes d’écritures, - sauf pour le
« d » et le « t », qu’on retrouve également dans l’écriture latine et
grecque et ne dénotent pas une parenté, car le rond, le triangle et la
croix sont des signes universaux, présents dans d’autres systèmes
d’écriture. L’hypothèse la plus probable est que le punique, le
tifinagh, ainsi que d’autres systèmes d’écritures méditerranéens (
étrusque, ibérique, grec...), soient des évolutions d’un alphabet encore
plus ancien, originel.
*
Ce serait également passer sous silence la parenté directe et évidente
entre l’écriture libyque préhistorique et le tifinagh numide antique,
ressemblance qui s’impose dès la première comparaison même pour un
simple néophyte en la matière !
*
Ajoutons à ces remarques d’ordre comparatif qu’on n’a aucune certitude
que les Imazighens de l’Antiquité désignaient leurs hôtes puniques par
le nom « Phéniciens » (« fnk », racine soi disant commune aux deux mots
« phénicien et tifinagh) ; en effet les auteurs Imazighens antiques,
dont Saint Augustin n’employaient pas ce mot dans leurs écrits et
désignaient généralement cette civilisation et sa langue par le
qualificatif « canaan ». La « paléo- linguistique, si cette discipline
existait, pourrait contribuer beaucoup à l’étude des interférences entre
le punique et le tifinagh, ainsi que les autres écritures
méditerranéennes.

Citons
par exemple les agriculteurs pasteurs du Néolithique capsien qui
avaient influencé l’art de la poterie et de la céramique du Sud de
l’Espagne ; la grande invention amazighe de l’époque néolithique, le
quadrige, char tiré par quatre chevaux, abondamment illustré sur des
gravures rupestres d’une « modernité » étonnante pour l’époque, et dont
l’usage s’est propagé en Grèce, puis dans tout l’empire romain, comme
l’attestent les auteurs de l’Antiquité ! La fameuse « égide », toge
réservée aux personnages illustres, rois, statues de divinités, dont
Athéna, trouve également son origine dans ce manteau en peau d’animal,
attribut des aguellids, rois Imazighens de l’Antiquité ; la civilisation
égyptienne doit également de nombreuses traditions aux Lébou, ancienne
appellation égyptienne désignant les Imazighens et qui a donné le mot
grec Libyen : le culte d’Amon- Râ trouve son origine dans la
civilisation amazighe à cause de l’importance que les Nord africains
accordaient à l’eau, aman : les rois égyptiens venaient jusque dans
l’oasis de Siwa rechercher les oracles d’Amon , avant d’accéder au
trône... Plus près de nous, les chiffres appelés incorrectement
« arabes » et que ces derniers n’ont jamais utilisés jusqu’à nos jours,
leur préférant les chiffres indiens, sont également une invention ibéro-
berbère du 9 ème siècle, appelés chiffres « ghubar »...
On
pourrait approfondir davantage cette digression sur les inventions
amazighes, lui consacrer une étude entière, pour montrer que la culture
nord africaine, loin d’être figée, passive, simple spectatrice des
courants civilisationnels qui l’avaient côtoyée, a elle aussi servi de
réservoir fécond et de modèle à ses voisins prestigieux. Mais les
Imazighens, - est- ce cela leur tort ?- ont toujours laissé aux autres
le soin d’écrire leur Histoire ou ont écrit dans les langues de leurs
conquérants ; Africains avant tout, ils accordaient à l’oralité plus
d’importance qu’à l’écrit et malgré leur écriture ils n’ont laissé que
de courts textes lapidaires, des épitaphes funéraires et des dédicaces
laconiques qui nous renseignent très peu sur leur civilisation et leur
propre vision du monde.
« Les
écrits s’effacent, seule la parole demeure », serait en quelque sorte
leur devise quant à la transmission de la mémoire, à l’opposé des autres
civilisations méditerranéennes, qui accordaient plus d’importance à
l’écrit qu’à la parole ! On ne peut en effet que regretter le peu de
documents écrits par les Imazighens dans leur propre langue et écriture
et le peu de gravures dont nous disposons résistent encore au
déchiffrement, attendant leur « Champolion », tant la langue amazighe
est si complexe, sujette comme toutes les idiomes à l’évolution. Mais on
n’en est qu’au début des recherches consacrées à la civilisation
amazighe en général et antique en particulier et aux études des corpus
en tifinagh légués par nos prédécesseurs, car on leur avait accordés peu
d’importance, en comparaison aux autres civilisations méditerranéennes
et arabe qui ont bénéficié - à juste titre- de toute l’admiration et
l’intérêt des recherches universitaires depuis le XVII ème siècle.
Mais
ceci est une constante de tout ce qui est relatif à l’origine du peuple
amazighe et à tout ce qui concerne l’originalité de sa civilisation et
son aspect considéré « inclassable », « irréductible », voire
« mystérieux », « étrange »... A force de multiplier les doutes,
d’avancer les théories les plus fantaisistes, remettre en cause ce qui
est évident, on a dépouillé l’étude des composantes de cette
civilisation originale, dont le tifinagh, de toute consistance
historique, de toute réalité scientifique et on a « miné » pour
longtemps tout un champ d’étude qui ne demandait qu’à être approché avec
respect, sérieux et objectivité, sans arrières pensées idéologiques. A
croire que tout ce qui est amazighe relève de la légende et de l’univers
de la spéculation, du domaine de l’inconsistant et du mythique, voire
du surnaturel, donc sans fondement tangible ni véracité historique,
comme si cette culture pourtant bien réelle, concrète et si originale ne
pouvait exister par elle-même et être le produit de son propre terroir
et de son peuple, forcément indigène et premier.
Car
les études amazighes ont souffert sans doute dès le départ de l’absence
de chercheurs, historiens, linguistes indigènes, qui auraient entrepris
par eux-mêmes l’étude, la préservation et la défense de leur propre
histoire et civilisation. Depuis Hérodote et Platon, en passant par les
historiographes arabes et les théoriciens et chercheurs européens du XIX
ème et XX ème siècles, il y eut pléthore de données, des plus
fantaisistes au plus sérieuses, un mélange de mythes et de faits
historiques, une imbrication de théories tendancieuses et de constats
objectifs, ce qui laisse toute personne abordant la « problématique
amazighe » parfois déroutée, souvent incertaine, obligée à son tour de
bâtir sa propre vision des faits.

Les
chercheurs Nord africains ont entrepris depuis les années soixante et
dans la foulée des savants Européens de la première moitié du XX ème
siècle qui ont posé les fondements des études amazighes scientifiques,
de reprendre avec sérieux et enthousiasme l’étude de leur propre
patrimoine culturel et linguistique et on assiste actuellement,dans
toute l’aire amazighophone, à une réappropriation légitime de ce legs,
longtemps laissé, non à l’abandon, mais mis en suspens par ses propres
héritiers et délaissé aux spéculateurs de tous bords, aux soins des
théoriciens et chercheurs étrangers. Le nombre de thèses et de mémoires
concernant la linguistique et la littérature amazighes par rapport à
l’ensemble des travaux universitaires entrepris au Maroc, par exemple,
atteste de la nouveauté de l’amazighologie, ou plutôt de la restitution à
ses héritiers légitimes d’un trésor longtemps spolié, une culture et
une langue dignes de considération.
Dans
ce sens on ne peut que se féliciter du choix sage et courageux par
l’IRCAM de cette graphie originelle pour la transcription de la langue
tamazighte, au lieu des alphabets arabe et latin, et ceci pour plusieurs
raisons :
Pour son historicité et son rattachement à la langue qui l’a vue naître.
Pour son caractère national Nord africain et sa présence dans toute
l’aire amazighophone, de la Libye jusqu’à l’Atlantique et de la
Méditerranée jusqu’au fleuve Niger : c’est un patrimoine commun à tous
les Imazighens, un trait d’union entre leurs diverses communautés,
dispersées sur un vaste territoire.
Pour son aspect esthétique : les tifinagh possèdent en effet un aspect
plastique indéniable, qui correspond parfaitement à l’esprit amazighe,
caractérisé par la logique et la sobriété et à tout un héritage
artistique antique qui a traversé les millénaires ; cette écriture peut
parfaitement évoluer, devenir cursive et plus fluide, atténuer son
aspect géométrique rigide, à l’instar des autres graphies ( le latin et
le grec, par exemple, géométriques au départ, comme le tifinagh ) qui
ont bénéficié quant à elles d’une utilisation soutenue sur une longue
période temporelle : l’écriture tifinagh est capable de rattraper le
long retard qui l’a privée d’une évolution naturelle et déjà on assiste à
l’intérêt grandissant de nombreux artistes calligraphes Imazighens, qui
ont réussi à donner aux Tifinagh plus de souplesse et de plasticité, et
qui ont découvert en même temps tout l’aspect symbolique que recèle
implicitement cette écriture.

L’écriture
tifinagh est un patrimoine culturel propre à l’Afrique du Nord, la
seule avec l’amhara, l’écriture éthiopienne, qui soit typiquement
africaine ! Comme le sont d’autres écritures pour d’autres peuples,
(Chine, Japon, Cambodge, Inde, Japon, Thaïlande Grèce, pays slaves,
Israël , et tant d’autres nations...) qui utilisent naturellement leurs
propres graphies et arrivent normalement à progresser et à communiquer
avec l’ensemble du monde, les Imazighens aussi pourraient employer leur
propre écriture tout en restant ouverts sur la modernité, progresser,
publier, traduire et communiquer, sans être obligés de choisir
exclusivement entre les alphabets arabe et latin.
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